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10 Mai 2012 / karleyn

Ce que le tricot dit de nous…

Photo par Aurore Texier.

Ma tendre et lumineuse amie qui habite au 19 rue, a posté il y a quelques jours sur son blog un post qui m’a laissée toute songeuse, mais agréablement : le tricot des familles. J’ai été agréablement transportée de doux souvenir en doux souvenir, à la lecture de ses évocations.

Il s’agissait de tricot.
Là, je connais quelques-uns des hommes qui m’entourent qui doivent déjà faire la grimace et ne pas se sentir concernés. Mais en fait, je suis sûre que s’ils lisent ce post, ils vont pouvoir se dire  « ah ! Mais finalement c’est un peu comme quand je /joue au foot / fais la cuisine / bricole dans mon garage /surveille les devoirs des enfants /jardine / joue du banjo / mets des bateaux dans des bouteilles… (liste non exhaustive) »… Non, vous allez voir, si ça se trouve, ça va vous évoquer quelque chose, à vous aussi.

Parce que quand on parle tricot, il y a forcément un moment où :

– vous pensez à celui ou celle qui vous a appris – votre maman, votre grand-mère Marylène, votre oncle Lennie …

En particulier, vous repensez avec tendresse et nostalgie à la patience qu’a eue ladite personne, pour vérifier toutes les 3 mailles « s’il n’y a pas d’erreur », pour vous remontrer 30 fois dans quel sens on enroule le fil autour de l’aiguille, pour répondre une 12ème fois à la question « pour la maille envers, je mets l’aiguille comme ça ou comme ça ? ». Je vous le dis, ce premier initiateur ou cette première initiatrice, s’ils ont réussi leur mission, c’est-à-dire, vous accompagner jusqu’à ce que vous soyez arrivé au bout de votre oeuvre mérite rien moins que votre reconnaissance éternelle. Peut-être qu’il sera d’ailleurs le seul à être capable de poser un regard émerveillé sur votre travail qui aura un furieux air de ressemblance avec le gilet culte du « Père noël est une ordure ».

Je ne parle pas des longues minutes passées, dans l’enfance, à regarder, médusé, les doigts de l’initiateur / initiatrice s’agiter avec précision, régularité, efficacité, tout en regardant une série télévisée. Vu par des yeux d’enfants, c’est un peu comme voir un musicien jouer du piano les yeux bandés sur un fil d’équilibriste.

– vous repensez aux ouvrages qui ont compté :

Dedans, il y a toutes les chances qu’il y ait votre toute première réalisation ! Je me souviens qu’à 7 ans,  j’avais patiemment et vaillamment tricoté un pull pour moi, au point mousse. Ca m’a pris un an pour tricoter toutes les pièces du puzzle, et pendant cette année là, ma famille a déménagé. Après avoir fièrement terminé la dernière manche, on s’est aperçu que tout ce que j’avais fait avant le déménagement restait introuvable. On a cherché, cherché. J’ai grandi. On a détricoté et récupéré la laine… et au déménagement suivant, on a retrouvé les premières parties de mon tricot. Trop tard ! Mon premier tricot fut donc un mélange de réussite et de loose totale : j’étais super fière d’être allée au bout, d’avoir tout tricoté… Mais je n’ai jamais pu voir (et encore moins porter) cette réalisation.
Il y a quelques autres réussites importantes et valorisantes, après : mon premier pull à torsades, mon premier pull ajouré, mon premier pull Jacquard 😉 Et les amis, immanquablement, qui voyaient votre pull et disaient « c’est ta mère qui l’a fait ? ». Et la réponse, discret sourire modeste aux lèvres « Non, c’est moi » pouvait parfois susciter des murmures d’admiration… pas désagréables pour l’estime de soi.

Beaucoup, beaucoup plus tard, après une longue interruption, il y a eu les bébés, la confrontation avec un monde qui n’est décidément pas fait pour les mamans de jumeaux qui se soucient du bien-être de leurs enfants, et qui sont sensibles au toucher des matières. Donc tu es une maman, tu as 2 bébés à habiller (avec des vêtements différents, of course : j’ai dit « jumeaux », pas « clones »), tu ne supportes pas le contact des matériaux synthétiques, c’est l’hiver, tes petiots ont froid… et tu as beau parcourir comme une dératée tous les magasins du monde avec la poussette de jumeaux, partout, partout, tu ne trouves que des pulls 100 % acrylique. Et là, tu commences à déprimer grave, jusqu’à ce qu’il arrive à ton cerveau le vague souvenir que oui, avant, autrefois, à l’époque où tu avais une vie (et que – ceci expliquant cela, tu n’étais pas encore dotée de 2 vrais bébés – ben oui, des vrais, quoi, des qui pleurent, qui ont faim, qui s’endorment le sourire aux lèvres en tétant, qui rampent, qui touchent à tout, qui gazouillent, qui ont des couches à changer, à qui il faut donner le bain, qu’il faut emmener en promenade, etc.), à cette époque d’avant, donc, tu savais te servir de tes 10 doigts, d’une paire d’aiguille et d’une pelote de laine. Et là, tu trouves tout-à-coup beaucoup, beaucoup plus simple d’aller au magasin de laine acheter de la vraie laine ou du vrai coton pour tricoter le pull que tu veux, de la taille que tu veux, la couleur que tu veux, plutôt que courir tous les magasins pour être assurée de devoir acheter le pull que tu ne voulais pas, en désespoir de cause, pour ne pas laisser tes lutins mourir de froid. Donc là, oui, j’en ai tricoté, des pulls, des manteaux de lutin, un peu plus grands d’année en année, jusqu’à arriver au moment où les enfants t’ont épargné le terrible dilemme de devoir choisir entre tel ou tel modèle. Parce que ce qu’enfant veut, mère le fait, célèbre dicton de la maman tricoteuse. [Mais, parenthèse technique, qui n’est pas toujours de tout repos : quand ton enfant veut que tu lui tricotes une robe longue en 10 ans avec des rayures verticales, tu te demandes juste si tu n’aurais pas plutôt dû apprendre la COUTURE – humour de connaisseur, sorry, mais sachez-le : je suis nulle en couture !!!]

Ha ha ha ! Et le moment jubilatoire où ton enfant te réclame son pull Spiderman et où tu lui dis « non, mon chéri, tu as déjà eu un pull cet hiver, maintenant, je m’en tricote un pour MOI ! » (gniark, gniark, gniark intérieur de la maman de jumeaux qui reconstruit pas à pas son ego, sa vie, ses désirs, tout ça, après avoir été engloutie dans des tonnes de couches et plus de 1000 tétées).

Alors oui, le tricot, vous voyez, chez moi aussi, ça parle de la famille !

– vous vous inquiétez pour celui qui est en cours 

Est-ce que le pull que je tricote en taille 12 ans pour Ophélie sera encore à sa taille quand je l’aurai fini ? Est-ce que je vais réussir à finir mon petit pull d’été ajouré avant l’arrivée des premiers froids d’octobre (vous avez vu ? Quel stress, hein !) Est-ce que je pourrai terminer le pull de Marlène avant son anniversaire ? (ou Noël, ou la Saint Glinglin, ou ce que vous voulez). Est-ce que je vais avoir assez de laine ? (l’angoisse totale : si t’as pas assez de laine, jamais tu ne retrouveras le même bain ! Le stress, je vous dis !). Est-ce que vous allez trouver quelque chose à faire de toutes vos pelotes orphelines ? (Là, au 19 rue, ma copine a trouvé la solution qui délivre à tout jamais de ce stress là : ça s’appelle Freecycle )…

– vous rêvez de votre prochain projet

En regardant les trucs que font les copines qui postent les photos de leurs créations sur FB, sur Twitter, sur leur blog… Et elles ont des idées du tonnerre, les copines ! Et d’ailleurs, pendant que vous y pensez, à vos copines, vous leur enverriez bien un bisou, là, parce qu’elles sont chouettes, quand-même ! (pas besoin de les citer, elles se reconnaîtront d’elles-mêmes).

En consultant les pages Internet de tricot : c’est trop de la balle – une mine infinies d’idées, de modèles… Plus besoin de s’arracher les cheveux face au dilemme « j’achète ou pas ce catalogue qui contient un modèle magnifique, au milieu d’une marée de trucs trop moches ? ».

En bavardant et en partageant avec des amis et amies tricoteurs et tricoteuses dans des cafés tricots – si si, il y a ça, je vous jure, et c’est top ! Et avec eux, refaire le monde en couleur, comme le fait l’infatigable et drôle Collectif France Tricot et ses tricots de rue.

Et personnellement, je pense aussi à toutes ces occasions rigolotes où mes aiguilles et mes pelotes ont fait naître de grands sourires et parfois de sympathiques discussions (du plus banal au plus fêlé) :

– dans le train,

– dans les bistrots qui n’accueillent pas de café tricot,

– dans les jardins publics,

– au cinéma,

– à un atelier tricot pendant un congrès international d’espéranto, où :

  • on découvre qu’en Chine on ne monte pas les mailles comme en Europe,
  • en Allemagne (et dans toute l’Europe du nord, en fait), on ne fait pas les mailles endroits comme en France, ni les mailles envers, évidemment
  • on apprend la petite comptine Allemande qui sert à retenir l’enchaînement des gestes du tricot, et on se prend à rêver de l’adapter en français
  • on apprend à tricoter des petits animaux suivant la méthode de Waldorf

– dans les AG à la fac en plein mouvement étudiant,

– assise par terre dans le hall du CROUS qu’une bande d’étudiants (dont moi, donc) a occupé pacifiquement pendant plus de 24 heures pour que nos camarades étudiants étrangers bénéficient de conditions d’accueil décentes. Acause de cette dernière situation, qui a fait l’objet de plusieurs photos médiatisant notre mouvement, pendant quelques années, on m’arrêtait même dans la rue en me disant « c’est pas toi qui tricotais pendant l’occupation du CROUS ? » La gloire !!!

Alors OK, maintenant, vous y voyez plus clair, sur ce qu’est que la vie d’une personne qui tricote.

Mais la question qui demeure, c’est : mais pendant qu’ils font ça, à quoi pensent-ils donc ?

Je fais partie de ceux qui font TOUJOURS autre chose en même temps : regarder un film, bavarder avec des amis, IRL ou sur Skype (sauf pendant les quelques minutes qui me servent à apprivoiser le nouveau point : là, c’est concentration et décompte des mailles)… Mais on me glisse dans l’oreillette qu’il y a aussi des gens qui utilisent ce temps là pour réfléchir, peut-être même tricoter leurs cours (pour reprendre l’expression de ma copine prof et tricoteuse Milasaintanne dans son magnifique billet du même nom ), voire tricoter leur vie…

Un moment de vagabondage de l’esprit, mais un vagabondage structuré, par des rangs, des mailles qu’on fait et qu’on défait, des cm de tricot qu’on oublie de mesurer ou qu’on mesure toutes les minutes, c’est du temps, c’est de la technique, c’est des mathématiques (répartir 5 augmentations sur votre rang de 117 mailles – sortez vos stylos !), c’est sensuel… Et puis, ce sont des choix, des décisions : « j’ai oublié une augmentation là. Est-ce que je défais tout ? Est-ce que j’utilise l’erreur ? Est-ce que je parie sur le fait qu’elle ne se verra pas ? ». Et finalement, c’est la fierté, la joie de porter le pull ou de le voir porté et reporté et re-re-porté par le bout de chou qui veut dormir avec ! Du plein de vie !

Mais quoi, vous n’avez pas encore attrapé vos aiguilles, là ?

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